Les jeux sont faits

Hier, j'ai encore grandi.
En fait nan, je n'ai pas pris un seul millimètre, mais j'ai encore perdu en naïveté.
J'ai compris que notre système, enfin celui dans lequel je travaille, n'en avait rien à battre de ce que j'étais, suis et/ou serais.
Je travaille dans un système à bout de souffle, qui ne peut pas et qu'on ne veut pas renouveler, moderniser et qui s'appuie, grâce et/ou à cause de notre histoire, sur un modèle pyramidal, vertical, voir féodal, et pour forcer le trait en caricaturant (à peine) avec des castes bien définies, le pire c'est que je ne suis même pas amer.
Hier j'ai assisté à l'adoubement d'une "collègue" (devrais-je écrire consœur ? vu que nous ne faisons pas partie du même "monde", ni du même "milieu", ni de la même "caste"), bref, une ancienne cheffe, disons qu'il s'agit de J.
Je suis heureux et content pour elle, c'est l'aboutissement d'une carrière, le point d'orgue comme on dit parfois.
Avant de perdre complètement ma naïveté avec l'aide d'une bonne dose de lubrifiant, en début de matinée j'avais la surprise de retrouver à cette "journée" une connaissance d'une autre vie.
J'étais réellement heureux de le revoir, disons qu'il s'agit de G., d'évoquer le passé, les familles, les boulots, l'avenir étou étou, sincèrement.
Deux autres connaissances de cette autre vie, disons qu'il s'agit de H. et de M.-V., sont venues aussi à cette "journée" (j'étais nettement moins "heureux" de les revoir) et c'est là que j'ai commencé à comprendre ce qui se tramait, les pions prenaient place.
Séquence commémoration, sourires de circonstance, on évoque, on envisage, on ne refait pas le monde parce que c'est pas notre boulot, mais on s'y croirait presque.
J'ai vu un défilé de politiciens venus nous narrer les faits d'arme de la récipiendaire, tous ne s'attendaient pas à prendre la parole, mais, et c'est là qu'ils sont phénoménaux, ils nous ont tous sorti un discours de leur poche (cherchez l'erreur).
Forcément, elle a tout vu, tout fait, elle est exceptionnelle et irremplaçable (alors que sa remplaçante est déjà en poste), bref, ça dégouline de bonnes paroles, du descriptif ultra détaillé de ses innombrables qualités, je vous en passe, ça a duré plus d'une heure et demi avec applaudissements et standing ovations.
Il ne manquait que les projecteurs et on était à une cérémonie des Oscar.
Où j'ai compris que ce monde n'était pas le mien, non que je ne veuille en faire parti mais plutôt que lui ne veuille pas de moi, encore que j'y serai trop mal à l'aise, c'est au moment du repas...
Arrive donc, ce fabuleux moment du repas.
Là commence un ballet étonnant fait de jeux de regards, de signes discrets, d'apartés savamment orchestrées, un truc du genre où tu comprends que la dilatation des sphincters est ton lot, surtout quand ce sont TES sphincters qu'on dilate, genre : "Hah bah oui, Dom est là (comme toujours le bon petit soldat), mais mince on n'a pas prévu qu'il soit de la fête, fait chier bordel !".
La confirmation arrivera une fois que le mouvement de foule aura eu lieu, passage d'une salle à une autre, les convives s'attribuent les tables pour le repas avec les hôtes qui vont bien.
Avec ma hauteur, un regard circulaire me confirme qu'on a perdu quelques convives, étrange...
Puis, un malencontreux jeu de portes me dévoile le plan B : il y a une autre salle où sont rassemblés les "disparus"... visiblement la fête est "différente" là-bas.
C'est juste triste.
Pour plein de raisons, mais surtout pour le démenti flagrant entre les belles paroles qu'on t'a balancées dans la matinée et les discours entendus quelques minutes auparavant et cette "triste" réalité.
On ne se mélange pas pour tout.
On ne se mélange pas avec tous.
Pour la seconde partie de la journée, j'ai croisé le regard de G. qui s'est installé à l'écart, plus loin...
Lui faisait partie du plan B et visiblement il ne l'a pas bien vécu en regard du traitement différent entre H., M.-V. et moi.
Je me souviens (putain de mémoire) de ce qu'il nous avait raconté à M.-T. et moi sur les aberrations et les excès qu'il avait vu dans une autre de ses vies, il en voyait d'autres aujourd'hui, le pouvoir est le même partout.
Il ne savait sans doute pas que je ne faisais pas partie du sérail... maintenant il sait.
Forcément il a dû se souvenir de mes venues dans sa boîte pour apporter les éclairages de mon expertise naissante d'il y a 20 ans, de mes essais de son produit "vendu" par la récipiendaire (tu vois le maillage de qui fait quoi là ?), du prototypage des procédures pour l'interopérabilité de son produit "vendu par la récipiendaire sur notre réseau" avec celui de la récipiendaire (tu vois mieux le maillage de qui fait quoi et pourquoi il le fait ? Ou pas encore ?).
Sans exagérer, j'en ai fait sans doute beaucoup plus que H. et M.-V. mais ça ne m'a (jamais) rien rapporté, pourtant j'ai tout bien fait comme on m'a dit, comme il fallait que ça soit fait, dans des conditions que personne n'a voulu faire ensuite, et tout ça jusqu'à ce que je dise : stop !
Dans l'absolu je pourrai m'en foutre...
Mais uniquement dans l'absolu alors, parce que dans la réalité, ça change complètement ce que je fais, la façon dont je le fais et pourquoi je le fais.
Je n'en suis pas fier, mais maintenant je fais les choses pour ma gueule et uniquement pour ma gueule.
J'expérimente des trucs parce que ça me questionne, parce que je me dis "tiens et si j'essayais de faire ça pour voir si j'en suis capable !" ou bien "wouha ! ça à l'air cool ce truc, j'vais voir de quoi ça parle et au pire ça me fera une journée à glander"...
Voila où j'en suis et je m'en branle complètement de savoir si ça à un rapport plus ou moins direct avec mon boulot... ou pas !
J'acquière de nouveaux blocs de compétences, je développe certaines expertises, je me fais clairement plaisir, mais merde, c'est bon, le père Noël est une escroquerie et ce qu'on me raconte au boulot aussi.
On est toujours très content de demander à Dom de faire ci ou ça, de réparer ceci ou cela, de trouver un truc pour faire que ça marche, de sauver le monde quand d'autres font des conneries, mais faut surtout pas que j'ai envie ou besoin de quelque chose car aussitôt la machine se grippe, c'est baisé !

Donc hier, j'ai compris que pour qu'une personne soit faite Chevalier des Arts et des Lettres, il faut beaucoup, beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup de cons comme moi qui rêvent avec des paillettes plein les yeux jusqu'à ce qu'on leur explique que les rêves sont juste... des rêves.

Me restera l'image de la récipiendaire sur l'estrade, vérifiant sans cesse que le col de son chemisier ne cache pas à la vue de l'assemblée, la boutonnière de sa tunique où claque l'insigne de sa décoration honorifique... c'est juste triste...

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