Un p'tit coin d'Picardie

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Aussi loin que je m'en souvienne, ce village, c'est le fief familial paternel.
Il y eu là-bas des heures et des jours joyeux, d'autres beaucoup moins.
Mon père y est né, il y est aussi enterré.

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Aujourd'hui nous y avons enterré un de ses frères, celui qui lui ressemblait comme un jumeau.
Tonton Lucien.
C'est, comme dans beaucoup de familles, un des rares moments où l'on peut croiser d'autres membres qu'on ne voit, malheureusement, que dans ces moments là.
On s'embrasse, on demande et on donne des nouvelles, la vie qui passe, le temps qui file.
J'y revois et retrouve des cousines et cousins avec lesquels on a fait mille et deux conneries, nous sommes faits du même métal, de la même trempe, nous avons quasiment grandi ensemble.
On bloque des dates pour des séjours campagnards avec les uns, on envisage d'autres dates avec d'autres.
Vous avez là un beau rassemblement de têtes de mules !
J'y redécouvre d'autres cousines et cousins, qu'on voit encore moins souvent, mais qui ne comptent pas moins que les autres.
C'est qu'il est puissant c'est héritage familial !
Parce qu'il nous unie ce nom que l'on porte !
Avec les rangs clairsemés des plus anciens, nous avons aussi conscience qu'en toute logique nous sommes la prochaine génération dont les années sont comptées.
Je n'en suis pas triste, c'est dans l'ordre des choses et on doit se faire à l'idée que de cette vie, aucun n'en sortira vivant.
Alors comme quand nous étions jeunes et insouciants, on déconne, on se moque du curé, des bancs qui ploient sous nos poids, du froid dans l'église, des chants liturgiques qui n'entreraient même pas au Top 50... pour mieux repousser le chagrin, personne n'est dupe, on se connait si bien et on sait qu'il va nous avoir dans quelques minutes.

Mais la mémoire est toujours un piège...
Ce village, c'est la maison où est né mon père, la maison du grand-père.
C'est sa main tapotant sur la cuillère pour saupoudrer les crêpes de sucre, c'est la limonade fraîche, c'est l'allée en briques, ce sont les glissades de l'escalier de la cave, ce sont aussi les pommes, les fraises, les tas de bois, la buanderie.
Le grand miroir dans la chambre de l'escalier, la cuisine bleue et son buffet, la cuisinière à bois, les assiettes à bords bleu, la boîte en fer avec les monuments de Paris dessinés dessus, la huche à pain, les rideaux de la porte d'entrée avec sa vitre qui s'ouvrait indépendamment de la porte (un tour de magie pour mes yeux d'enfant).
C'est la chasse, le gibier, les chiens, l'odeur des cigarettes qui drapaient de volutes les conversations à refaire le monde de mon père avec ses frères.
C'est ce même grand-père qui m'accompagna dans le marais au bout du jardin pour me montrer les trous de bombes de la guerre et l'abri de fortune dans le talus de l'autre côté de la rue pour fuir les bombardements...
Mais aussi les caches d'armes pour la Résistance... les drapeaux de la Libération.
Il y avait le lavoir à côté du pont.
Le rosier sous les fenêtres des chambres...

Et puis vient le moment de bénir le cercueil.
Je n'aime pas cet instant, je le déteste.
C'est là que je suis le plus vulnérable.
C'est là que je ne suis plus rien.
C'est là que j'abandonne le combat.
C'est là que les larmes coulent... pourtant ce n'est pas le pollen...
Mes mains réconfortent mes oncles qui pleurent aussi...
Ces hommes si fiers... mais si fragiles et tellement pudiques...

On suit le corbillard jusqu'au cimetière.
Je feinte en prenant la petite porte près de la tombe des grand-parents pour éviter de passer par le portail du bas.
Il y a pourtant là un buis que j'adore depuis toujours, le buis est attaché à cet endroit, à ce cimetière, j'aime son odeur.
L'odeur du buis pour moi c'est l'odeur du fief, du village, de la famille, des racines picardes.
Une odeur rivetée dans ma mémoire d'enfant quand on venait dans ce cimetière sur la tombe de ma grand-mère, plus tard rejointe par le grand-père, puis papa, puis tata Irène.
Non, passer par la petite porte, c'est pour éviter de remonter l'allée centrale où là aussi, depuis que papa est mort, je suis bien trop vulnérable en ayant sa tombe en point de mire.
Je rejoins tonton Jean, suivi par un cousin, bientôt rejoint par tous les autres.
J’essuie d'hypothétiques traces de poussière sur un coin du granit pour ne pas regarder le tombeau voisin ouvert, en attente du nouveau résidant.
J'ai la tête en vrac, les souvenirs qui coulent des paupières, je souris et je pleure en même temps, c'est con la mémoire.
Dernier adieu.
Aujourd'hui j'ai 53 ans.
Tu parles d'un anniversaire !
Mais sachez que je suis heureux en ce triste jour d'avoir vu une partie de ma famille.
Cette famille dont je suis fier de faire partie.
Cette famille que j'aime.
Sans le savoir, tu m'as fait un très beau cadeau tonton.

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