Ils partent...

Cette matinée commence avec de fortes émotions... la salope !

D'abord, tu'ouvres un œil, tu lances tes PCs, tu prépares le petit déj, tu fais pipi-popo et tu prends les nouvelles du monde...
Habituellement, je ne regarde face de book qu'après les mails, qu'après les réseaux twitter et insta, mais ce matin nan, je le regarde en premier.
J'y vois la photo de Françoise en noir & blanc.
Je comprends immédiatement, pas besoin de lire la légende.
Je suis triste et soulagé, triste qu'elle nous quitte, soulagé pour la fin de ses souffrances.
Triste pour ses proches, je vous embrasse tous, je vous aime
Soulagé aussi pour eux, car malgré la tristesse, la douleur, la peine, pour y être passé, on n'en comprend la leçon que bien plus tard, même si l'on se persuade de s'y être préparé.
J'ai même caché mes larmes à mon mari, mais merde saloperie de vie parfois !

Autre épisode.
Sur le chemin du boulot.
J'écoute le 7-9 sur cette célèbre radio de gauchos.
Aujourd'hui l'invité c'est Nicolas Hulot.
Pensé du moment : "Il doit avoir mal au fion avec la journée d'hier !".
Oui parfois je suis assez trash avec une pointe d'irrévérence mais bon, chassé le naturel toussa toussa...
Et puis PAF !
"Je prends la décision de quitter le gouvernement"

Oh comme j'ai compris sa décision !!!

Dans une autre vie, j'avais exprimé à plusieurs reprises ma lassitude de n'avancer qu'à petits pas (moi aussi), d'être seul (c'est faut, nous étions 1,8 équivalent temps plein pour faire le travail de 4,5 actuellement) aux manettes, de vouloir enfin des avancées plus que significatives et immédiates (en fait à trois conditions essentielles et non négociables) sinon je jetais l'éponge.
Réunion au sommet avec les grosses huiles qui laisse présager qu'enfin (!) on t'entend à défaut de t'écouter.
Et puis le ton de l'entretien, les mots du discours (petits pas, patience, lubrifiant et bâillon) te font comprendre que c'est cuit.
C'est à la fin du monologue interminable (42 minutes, je regardais ma montre ostensiblement, par ce que bon des fois, c'est bien aussi quand ça s'arrête...), quand la question tombe : "J'espère que pour vous il n'est pas trop tard ?"... c'est pile à ce moment que tu balances la réponse non réfléchie, non envisagée, non calculée... mais fruit d'années d'attente, de moments de désarroi profond, de désespoir intense, de couleuvres avalées, etc., donc bref, c'est là que j'ai dit : "Si, pour moi il est trop tard !"
Silence sépulcral.
Mon chef s'affaisse sur sa chaise.
Le responsable RH baisse la tête.
Le directeur général adjoint (DGA) perd le contrôle de sa mâchoire.
Je romps le silence.
"Il est trop tard parce que ce que je viens d'entendre, je l'entends tous les ans pour la rentrée culturelle. Tous les ans j'attends qu'on me fasse confiance dans la conduite de mes projets et dans l'écoute de mes idées. Tous les ans j'attends de ne plus être en surcharge de travail par manque d'effectif. Tous les ans j'attends d'être légitimé dans mes fonctions. Il est temps pour moi de mettre un terme à cette attente."
Il y a eu des échanges de regards embarrassés, des raclements de gorges, des stylos que l'on maltraite nerveusement.
Puis une tentative de contre-attaque : "Dominique vous êtes défaitiste..."
Malheureux t'aurais mieux fait de continuer à te taire !
Et la réponse fuse, forcément : "J'ignorai que le défaitisme était un synonyme de lucidité. Ça fait combien de temps que j'exprime ma lassitude de courir continuellement ? J'ai atteint et rempli tous les objectifs qui m'étaient fixés, tous : ouverture de l'étage, lancement du prêt informatisé, développement des actions et animations, même après que l'on m'ait fait annuler la plus importante deux jours avant qu'elle ait lieu. J'ai participé aux groupes de travail comme on me l'a demandé en sachant que le retard continuerait de s'accumuler. J'ai mis en place avec le service finance un outil pour améliorer la compréhension inter-services et fluidifier la validation des facturations. La liste est longue et vous me parler de patience ? Vous me parler d'avancées ? J'ai conscience de tout cela car ça fait 10 ans... DIX ANS ! Oui, dix ans que je travaille comme cela, dans ces conditions en interpellant régulièrement sur le fait que ça ne pourra pas durer éternellement, qu'à un moment je lâcherai l'affaire, ou que j'aurai besoin de souffler et/ou besoin d'aide. Vous ne m'entendez toujours pas alors j'arrête, fini, terminé, cassé joujou, trouvez quelqu'un d'autre."
Honnêtement, j'espérai quelque chose.
J'avais donné au DGA, alors qu'il m’interpellait sur la tenue prochaine de cet entretien et mon état d'esprit démissionnaire, une copie de la notification de ma non promotion au grade pour lequel je remplissais les missions. Il était tellement prévisible que j'avais toujours à portée de main de quoi le déstabiliser), en lui précisant que c'est ça en plus d'une confiance et d'une écoute que j’attendais et non une énième discours. Donc il savait pertinemment que soit je baissais mon froc soit je partais, mais que lui ne ferait rien d'autre qu'un discours, lui ne pouvait pas perdre la face et moi je n'en avais plus rien à branler.
Il n'y eu rien ce jour là, sinon encore une promesse de se revoir dans les trois mois pour voir ce qui était possible parce que le moment tombait mal, budget, restructuration, plus de lubrifiant, etc.
Nous n'avons pas eu de nouvel entretien, deux nouveaux agents (dont une qui à fini de flinguer de peu de cohésion qui restait avec l'aide inconditionnelle de ma collègue historique) sont venus gonfler l'effectif de l'équipe... mais trop tard.
A l'évaluation suivante, mon chef ayant quitté la navire, c'est sa cheffe qui m'évalua. j'ai manifesté mon désir de ne plus être directeur et que je n'en assumerai plus les fonctions et missions jusqu'à ce qu'on me trouve autre chose, parce que je ne pouvais plus et que je voulais continuer de vivre.
Un an après, je quittais (enfin) mes fonctions, mon poste, ma structure et cette équipe pour en intégrer une autre, sans avoir plus de moyen, sans vraiment plus de confiance, ni besoin de légitimité, mais j'ai retrouvé le sommeil, j'ai arrêté de me mettre à pleurer n'importe quand, j'ai vécu ce départ comme la fin d'un tourment et une entrée en convalescence.

Je vous raconte ça parce que dans la voix de Nicolas Hulot, j'ai entendu mes mots, mes émotions, ma lassitude (ou l'épuisement).
Avant qu'il ne dise qu'il quittait le gouvernement, il y a eu ce petit rien juste après la question : "Est-que vous restez au gouvernement de ce fait là... de la tristesse, même plus la colère Nicolas Hulot ?".
Juste le temps de rassembler ses esprits et puis de capituler.
C'est une forme d'instinct de survie qui prend le contrôle, tu voudrais montrer encore que tu as la force et le courage de continuer, que tu es fier et volontaire, alors que non, tu n'es plus rien et sur le point de te détruire.
L'envie de ne plus se mentir, de ne plus donner l'image d'un bon petit soldat, ne vouloir être en phase avec ce qu'on pense quoi qu'il en coûte parce que l'autre prix à payer serait bien trop élevé.
Alors oui, je le comprends Nicolas Hulot dans son émotion, dans son constat et dans sa décision !
Quand la raison supérieure ne veut rien, à part de vaines prières, il n'y a rien à faire, sinon partir.

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