Récifs neigeux

Man dieu, quelle aventure !
Figurez-vous qu'hier après midi, contre toute attente et à l'encontre de toutes lois naturelles et hors de portée des prévisions de nos marabouts les plus expérimentés : il a neigé !
C'est dingue !
A mon boulot, les gens étaient paniqués (alors qu'on leur répète souvent qu'il ne faut pas niquer mais bon),
Les infos les plus alarmistes circulant sur les portables participaient au sentiment de bonheur général.
J'y allais de mes bonnes vannes d'esquimaux quand une dame du boulot d'à côté vint me demander si j'avais une connexion Internet pour voir l'état des routes, du ciel et éventuellement de Dieu oué nan mé parcqu'elle n'habite pas tout près, qu'elle a des enfants tout ça quoi.
J'ouvre mon FireFox et je regarde...
Ha bah oué, c'est déjà un gros bordel alors qu'il est à peine 15h00.
Bravache, le Dom il se dit : "Même pô peur, j'en ai vu d'autres..."
Donc, je décide vaille que vaille de rester au boulot histoire de me donner bonne conscience terminer les trucs ultra urgents et largement en retard que j'ai sous le coude.
Vers 16h00, alors que je suis encore en train de sauver le monde sur une méga hyper urgence pour le chef, commence les micro coupures d'électricité.
Ha ben pô cool ça !
C'est là que le téléphone me sort de ma réflexion pour donner un cours express d'Excel.
Toujours les micro coupures d'électricité, ça aide pô et je me demande, au delà de l'amoncellement de neige que j'aperçois derrière les fenêtres ce qu'il peut bien se passer sur les routes.
Re téléphone pour l'urgence du chef et quelques autres petits agacements à venir, ça va commencer à me chauffer cette ambiance de maternelle parmi les collègues...
J'annonce aux rares personnes présente que pour cause d'annulation de la course en sac (une vanne de tonton Jean que j'adore), je vais fermer l'établissement pour aller rejoindre le flot des naufragés de la route.
Si j'avais su j'aurai fermé ma gueule, encore que ça n'y aurait rien changé !
16h58, je quitte le boulot et admire mon igloo ma voiture :

o2_neige
Là, j'entrevois un grand moment de bonheur à conduire dans la neige, j'adore ça !
Je dégage ma portière, je lance le moteur et les différents dégivrages automatiques et armé de ma splendide raclette bleue (bah oué quoi), je dégage les vitres avant de prendre la route.
Je sors du parking, je sors de la ville et j'arrive là :

naufrage2
Il est à peine 17h15.
Ce que je ne sais pas, c'est que ça ne fait que commencer.
J'écoute Inter et France Info pour me tenir informé de la situation... c'est pas reluisant.
En clair, c'est un gros bordel généralisé sur toute l'Île de France et en particulier dans le secteur où je bosse, trop d'la chance !
La N118 étant fermée à la circulation, je comprends mieux pourquoi il y a autant de voitures sur cette petite route. Ce que je ne comprend pas, c'est pourquoi ça n'avance pas plus vite.
Je ne le saurai que 8 heures plus tard.
Imaginez-vous dans votre voiture, incapable de vous projeter au moment de votre retour chez vous par ce que trop d'inconnus et d'incertitudes vous submergent les neurones.
La nuit tombe enfin, oué nan mé parce que voir la neige balayée par le vent c'est beau mais au bout de quelques heures c'est déprimant.
Nous sommes doublés régulièrement par des paquets de piétons qui vont dix fois plus vite que nous et qui disparaissent dans ce noir un peu blanc à la faveur des phares des voitures.
Cinq kilomètres plus loin, je rencontre la première voiture dans un faussé.
Quelques heures plus loin, c'est un camion qui est en porte-feuilles, escorté par trois camionnettes en vrac le long des glissières de sécurité.
Quelques heures plus loin, le spectacle se diversifie.
La fierté et la pudeur du genre humain n'a plus cours quand il y a des appels qu'on ne peut ignorer indéfiniment : les envies de pisser !
Les technique sont diverses et reflètent l'état d'esprit du pisseur.
Il y a ceux qui quand même mince alors faudra pas non plus hein, bref qui tentent de cacher (il fait un peu nuit ne l'oublions pas) la signification de l'étrange manège auquel ils participent : j'ouvre ma portière, je descend de la voiture, j'ouvre la portière arrière, je fais mine de chercher une constellation au travers de l'épaisse couche de nuages et je ne prête aucune attention à la vapeur qui apparait soudain à mes pieds.
Il y a ceux qui ne se posent pas de question et qui déballent l'appendice urinatoire, le dirigent vers où ils peuvent et ouvrent les vannes du soulagement.
Petite parenthèse sur la technique du dessapage utilisée pour accéder à Popol. Ce doit être, j'imagine, lié au type de sous-vêtement porté car il y en a trois.
D'abord le porteur de slip : il ouvre sa braguette déballe l'engin et éteint l'incendie imaginaire.
Ensuite nous avons le porteur de shorty : il ouvre sa braguette et se contorsionne pour libérer son kiki et on voit bien que l'aisance n'est pas au rendez-vous.
Enfin le porteur de caleçon. là ça se complique. Il défait sa ceinture, il ouvre sa braguette; il baisse légèrement son pantalon et son caleçon pour enfin se soulager.
Ca donne des attitudes rigolotes et on est content de ne pas avoir une envie pressante vu le vent, la neige et tous les regards qui vous prennent pour cible.
La façon la plus spectaculaire de pisser me fut offerte par le Scenic, deux voitures devant moi.
La portière s'ouvre, madame descend défait son pantalon, baisse d'un seul geste pantalon et culotte accroupie et ouvre les vannes...
Et ça dure, ça dure, ça dure... man dieu mais c'pô possible elle avait pas tout ça dans sa vessie !
Une foie la cru passée, elle remonte ses fringues et se réinstalle dans sa voiture avec un commentaire que j'imagine être un truc du genre : "Putain que ça fait du bien !"
En voyant toutes ces personnes pisser, je comprends ce que doit être le quotidien d'une cuvette de chiottes, oué je sais, mes réflexions m'entraine sur des chemins étranges parfois.
Bref, quelques dizaines de piétons nous dépassant plus loin on arrive à ça :

naufrage_bonhommes
Il a sans doute fallu occuper les gamins pendant les heures d'attente, je vous présente donc, monsieur, madame et fiston Naufragés sur le bord de l'A10/E50.
Parmi les piétons qui abandonnaient leurs voitures au bons soins de la nature folle de blancheur, beaucoup avaient des enfants dans les bras, du bébé jusqu'à 4/5 ans. D'autres, sans doute bons reproducteurs en avaient des ribambelles marchent à la queue leu leu avec de la neige jusqu'aux genoux pour des destinations que l'éblouissement des phares, la profondeur de la nuit et leur manque de hauteur laissaient hors de portée de tous débuts de compréhension.
La radio, ha que c'est drôle quand j'y repense ! La radio donc, ne vous est d'aucune utilité. On vous rabâche que c'est la fin du monde sans vous apporter la moindre précision sur le nombre d'heures qui vous reste avant la fin de la nuit une éventuelle amélioration et puis un bulletin tombe :
"Le ministre de l'intérieur (mé si, celui qui ne devrait pas y être ou ne devrait jamais en sortir parce qu'il trouve qu'avec beaucoup d'auvergnats ça pose des problèmes, bref l'autre gueule de cul vérolé façon nazillon resté trop longtemps dans les toilettes pour se palucher) nous annonce qu'il n'y aura pas de naufragés de la route comme en 2003."
D'un simple regard autour de moi et j'en déduis que place Beau Veau ça doit circuler sans problème.
Quand le mensonge est porté avec autant de légèreté dans la parole d'un membre du gouvernement, ça me fait une raison de plus d'arrêter de voté.
De qui se moque-t-on ? Suffit-il à ce sinistre crétin de dire quelque chose pour que cela devienne vérité absolue, que le monde se conforme à sa volonté, que le verbe commande à la nature ?
Mais c'est quoi ce connard ?
Tiens, au fait, ils sont combien les membres du gouvernement ? Oué nan mé parce que là ça fait un concentré phénoménal de connerie en tous genres, y a pitete moyen de convertir ça en énergie renouvelable, nan ?
Ha nan !
Tant pis...
M'enfin faudra qu'on m'explique pourquoi dans ce pays à la moindre crise on sort un chapelet de mensonges et trois petits tours et puis s'en vont ?
Bref, vers 1h45, alors que sur Inter il y a un truc d'enfer : un pianiste aveugle et un chanteur africain, j'aperçois des gyrophares bleus qui viennent à contre sens à notre rencontre.
Dans un fol espoir, j'imagine quelques uns des milliers de policiers ou de gendarmes volant au secours des crétins que nous sommes de croire au père nohell.
Un des buveur de bières (oué nan mais vu sa panse c'est pas la Contrex qui trône à côté de son assiette) sort du coffre de leur mégane pourrie, un lot conséquent de cônes de signalisation, là, j'ai peur de comprendre ce qui risque de se produire.
Notez pour votre information que je dois me situé à 2 kilomètres du début de se bouchon qui doit, en théorie, commencer sur l'A6, qui, Smab me le certifie au téléphone, est dégagé.
Le même gros con, s'adresse au conducteur de la voiture qui me précède et lui montre la direction de l'A10/E50/A86 où l'on nous annonce un bouchon depuis 19h00. Le conducteur met son clignotant à droite et s'engage dans le flot des bouchonants.
Le gros con, place ses cônes, remonte dans sa mégane et manœuvre pour faire demi-tour.
Là, le Dom se demande s'il ne s'est pas endormi au volant et, le manque de sucre aidant, commence à divaguer dans un rêve hallucinatoire.
Nan, je ne rêve pas, les flics viennent de fermer l'accès à l'autoroute A6 devant moi.
Ainsi ils bloquent une des routes qui me rapproche de la maison.
Super génial !
Je m'engage à mon tour sur l'A10, espérant profiter de la bretelle d'accès à la N20 pour trouver un chemin vers chez nous.
Là, Dieu me parle : "Oublie cette folie garçon, tu n'en a point fini avec les épreuves !"
L'accès à la N20 est fermé aussi.
Sur la bretelle deux bonnes dizaines de voitures abandonnées ou en phase "mon conducteur dort", et plus loin un cortège de voitures prisonnières d'un bouchon qui s'étend vers l'horizon.
Ça fait un peu film catastrophe genre "Deep Impact" où les pauvres terriens tente de fuir vers ailleurs pour éviter la colère d'une comète.
Du coup je demande à Smab comment est l'état de l'A10, espérant une bretelle vers l'A6 qui n'existe pas. Il me dit que ça roule moyen mais que l'A86 est blindé.
Dommage, je n'aie d'autre choix que de me précipiter dans le blindage.
En passant au dessus de l'A6, ma stupeur s'étend au-delà d'Uranus, ça roule nickel dans les deux sens.
C'est l'incompréhension totale !
Je m'engage sur l'A86 et sa promesse d'horreur... pas l'ombre d'un bouchon, ça roule.
Content, je m'engage sur la N7, ça sent bon le chemin de la maison.
Passage d'Orly sans encombres, la traversée d'Athis-Mons ne nécessite pas l'usage de lubrifiant et la descente vers Juvisy... à bah nan, on ne descend pas.
Une demie-heure pour faire moins de 10 petits, ridicules, insignifiants mètres et puis plus rien !
La file de droite avance avec la voie de dégagement qui coupe la nationale pour entrer dans le centre de Juvisy, ça roule aussi pour ceux qui arrivent de derrière moi et prennent la nationale à contre sens sous le regard imperturbable de la police qui arrête les voitures qui montent depuis Viry et le bas de Juvisy.
Sur quelle planète suis-je donc ?
Le temps passe et je ne bouge toujours pas alors que ça roule au loin et sur la file de droite.
Ma patience étant déjà largement à découvert, je clignote à droite, m'engage sur la file de droite (celle qui avance) et en passant devant les camionnettes qui sont bloquées devant moi, je vis un moment étrange.
Dans les trois véhicules, les conducteurs se sont endormi au milieu du carrefour sous l'œil indifférent des flics.
J'y crois pô !
Me voici dans la descente de Juvisy, au loin j'aperçois les tours de la résidence voisine de chez nous, encore 20 bonnes minutes avant de ne pas vouloir croire que j'y suis arrivé, tellement ça m'a semblé long !
Donc, après toutes ces conneries, je constate que je suis resté plus longtemps dans ma voiture qu'au boulot :

naufrage_dom
Bilan du rallye : 9h30 pour faire 22,3 29 km ! record battu. L'ancien de 3h15 ne mérite même plus qu'on s'en souvienne !
Alors la question que je m'interroge, c'est pourquoi on ferme des accès à des autoroutes sur lesquelles il est possible de circuler sans problème pour envoyer des conducteurs dans un cauchemar sans nom ?
En rentrant, je décide en commun accord avec moi-même de ne pas aller travailler demain tout à l'heure.
Un chocolat chaud, une banane et un anti-douleur et bonne nuit les petits.

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