Il est temps

Ça vient de faire vingt ans que tu es parti.
Vingt ans de manques et d'inachevé.
Ton évocation me laisse souvent dans un état lamentable et parfois, je me demande si passer sous un rouleau compresseur ne serait pas préférable.
A d'autres moments, je souris à certains souvenirs, je pleurs pour d'autres et il m'arrive de rigoler pour les plus drôles.
Mais ce ne sont que des souvenirs.
J'ai construis ma vie sans toi à qui la montrer, pour te la faire partager, pour te montrer qui je suis, ce que je suis devenu grâce à celui qui partage ma vie.
Ce matin, j'ai décidé qu'il était temps de te laisser partir pour de bon.
Il est temps d'accepter que c'est comme ça.
Qu'on n'y peut rien.
Ça me fait mal.
J'ai l'impression de trahir ta mémoire, ton souvenir, tout ce que tu m'as transmis. Pourtant je sais aussi que tout ça est en moi, que ça ne partira qu'avec mon départ.
Mais putain que ça fait mal.
Tu vois, je m'accroche à des objets que tu as touchés un peu comme à des reliques.
Non qu'ils aient une valeur sacrées pour moi, mais plutôt comme un héritage, une trace de ton passage, une preuve de ce passé qui n'est plus.

A l'approche de la cinquantaine, il y a plein de choses que je comprends enfin. Dire qu'il m'a fallu pratiquement un demi siècle d'existence pour comprendre certains de tes messages.
Il m'a fallu vivre, expérimenter, tester, pour comprendre à mon tour ce qui ne s'apprend pas avec de simples mots. Je suis heureux d'avoir encore en mémoire les tiens de mots pour les mettre face à ma vie.
Il y avait des situations que je trouvais idiotes, absurdes, sans utilité aucune... et depuis quelques mois, je vis certaines de ces situations en comprenant combien elles sont indispensables à nos vies, à nos relations, à ce que nous sommes, à ce que nous devenons en avançant.
Ça m'aide.
Ça me porte plus loin.
Ce sont autant de panneaux qui m'indiquent des pistes, des chemins oubliés ou inconnus, j'en suivraient certains, je sais que d'autres sont des voies sans issue, certains m'attirent, d'autres me font peur.
Je suis peut-être à la veille de changer de vie et ça me paralyse.
Je ne veux pas partir pour fuir, je veux construire autre chose, vivre autre chose, connaitre d'autres expériences.
Je ne suis pas seul.
Il m'aide beaucoup.
Il m'est infiniment précieux et indispensable.
Il est ma vie.
Sans lui je ne suis plus rien, je n'existe plus.
Si l'on part, je ne veux pas qu'il en soit malheureux, qu'il subisse un situation qu'il n'aura pas désirée, choisie ou voulu aussi.
Je doute.

C'est pour ça que je dois être seul pour décider.
C'est aussi pour ça que je te laisse partir.
Je ne veux pas reproduire des choses qui ne m'appartiennent pas.
Je vais lâcher ta main et tant pis si je tombe, j'apprendrai à me relever pour que d'où tu es, quelque soit cet endroit, s'il existe, tu ne puisses que penser que tu as fait tout ce que tu pouvais et que je fais comme je peux. Je suis tombé déjà plusieurs fois, je me suis toujours relevé, avec plus ou moins de séquelles, mais je suis debout et je continue d'avancer.
Je ne t'écrirai plus. Mes monologues m’insupportent autant qu'il m'était impossible de ne pas les écrire, un paradoxe en quelque sorte.
Il est temps d'en finir avec ces regrets... mes regrets.
Je n'ai besoin que de savoir être ton fils.
Tu me manques tant.
Merci de m'avoir accompagné.
Merci papa.

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