Vous parler...

Jeudi 19 juin.
Oui, je pourrai vous parler de cette journée.
De l'arrivée chez nous de mon frère pour qu'on fasse la route ensemble.
Évoquer les souvenirs qui ne manquent pas d'occuper mes pensées le long de la route.
Des déconnades derrière lesquelles on tente de se réfugier avant l'adieu.
Des gros câlins et des bisous avec sœurette.
De la visite des lieux importants de notre histoire vierzonnaise.
D'avoir demandé à ma marraine d'être témoin pour mon mariage, qu'importe les circonstances, nous sommes elle et moi dans un autre univers affectif.
De la vision de son visage si paisible après la mise en bière.
De la sensation terrible au contact de ses mains glacées.
De la dernière vision brouillée par les larmes en sortant de la pièce.
Du convoi, des mots, des fleurs, de la fermeture du caveau, de ce moment unique avec grand frère et sœurette quand nous avons, rien que nous trois, dans ce cimetière vide, disposé les fleurs sur la tombe, nous avions besoin d'être seuls, de faire cela, d'être ensembles pour le faire.
Ensembles et unis, comme toujours, depuis si longtemps.
Oui je pourrai.

Mais seulement, en arrivant au cimetière, sur le parking, j'avais déjà les yeux embués, malgré la dérisoire protection des lunettes solaires.
Les amis et la famille entrant dans l'enclos et cette silhouette à la limite de mon champs de vision.
Une présence.
Non, je ne suis pas mystique au point d'avoir des hallucinations.
C'est juste que j'aurai dû m'y attendre.
Je vais vous parler de Jean-Pierre.
Un idiot du village.
Issu d'un premier lit et rabroué continuellement par son beau-père.
Sa mère laissant plus ou moins faire.
Des gens de la terre, des amis de nos grands-parents.
Ils faisaient partie de notre paysage affectif, ne reste que Jean-Pierre, le temps faisant son œuvre chez tous.
Je me suis rapproché, n'en croyant pas mes yeux et demandant :
"Jean-Pierre ???"
Ce n'est que l'expression de mon étonnement et non une question.
C'est l'évidence même qu'il soit là, comment pourrait-il en être autrement ?
Il m'a reconnu, comme toute la famille, mais reste à l'écart.
"Viens, accompagne-moi, allons voir maman !"
Jean-Pierre : "Elle n'a pas du me voir, elle à l'air tellement triste."
"Viens avec moi, je vais lui dire que tu es là !"
Ce fut fait, tout le monde l'a reconnu, salué, remercié d'être là, de partager ce moment avec nous.
Je dis souvent à propos de moi en déconnant, et sans une once de sincérité, que je suis pureté et innocence incarnées.
Jean-Pierre lui, il l'est !
En plus de sa gentillesse, de son dévouement, de sa simplicité, de sa discrétion, de son immense mémoire, de sa générosité, de son émerveillement devant la vie, de son regard aiguisé sur le monde qui l'entoure, de son intelligence, pour tout ça, c'est quelqu'un que j'admire et respecte au-delà des mots.
Il est reparti, simplement, comme lui seul sait le faire.
J'ai pu lui dire combien sa présence me touchait, m'aidait dans ce moment, effaçait ma tristesse, m'aidait plus que tout.
J'ai pu lui dire merci.
C'est tellement con la vie, mais parfois elle met sur notre route des gens exceptionnels.
Jean-Pierre est sans aucun doute la personne la plus exceptionnelle dont j'ai pu croiser la route.
Merci la vie, même si... même si...

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