Un bref instant...

Quelle belle journée.
Il y en eu de plus belles et d'autres moins, mais qu'importe.
Je me suis assis sur cette pierre grise pour (te) parler, pas beaucoup, juste un peu.
Sans tristesse, sans regret, juste parler.
A qui ?
A quoi ?
Qui sait ?
Et j'ai roulé seul dans ces endroits du passé.
Une envie ?
Un besoin ?
Du changement autant que de l'immuable, la vie passe ainsi.

Peu avant l'heure du rendez-vous, raison de ce voyage, je décide de me poser.
Serait-ce ici, à côté de cette voiture grise, en marche avant comme une vraie feignasse ?
Non, plutôt à côté de l'autre voiture grise, la même mais en face, à l'ombre et en marche arrière pour être dans le bon sens au moment de repartir, je ne suis pas qu'un physique et je n'aime pas la chaleur.
A peine vingt cinq minutes à tuer, je marche un peu puis retourne dans la voiture, je sollicite Internet sur mon smartphone, comment va le monde ?

Un bruit, à droite.
La voiture grise retrouve son propriétaire apparemment.
Prenant le temps de finir la phrase de ma lecture, je tourne la tête.

Cette façon de mettre ses mains sur le volant.
Ces yeux.
Cette bouche.
Mon dieu... CE profil de visage.

Le temps disparaît.

C'est bien lui.
Il porte des lunettes maintenant.
Lui aussi s'approche de la soixantaine après tout.
Combien de chances y avait-il pour qu'en ce jour je sois dans ma voiture, garée à côté de la sienne et le voir partir vers son ailleurs ?
Juste assez pour que cela se produise.
Merci qui ?
Je l'ignore mais merci.
Je l'ai suivi des yeux quand il a quitté ce parking pour disparaître au coin de la rue.
Sans voir qui l'accompagnait, pas plus que lui n'a prêté attention à l'occupant de l'auto voisine de sa Peugeot.

A peine dix secondes.

Dix pour me souvenir, pour le laisser passer sans bouger, sans rien dire, avec un sourire barrant mon visage pour ce bonheur passé qui m'a précipité, avec toute la lenteur nécessaire, vers mon bonheur présent.

Cet homme (maintenant) que j'ai aimé comme un dingue, pour qui j'aurai renié jusqu'à la plus précieuse de mes convictions, je l'aurai suivi même là où je savais ne pas pouvoir aller, cet homme... il était là, à moins de deux mètres de moi.
J'ai pu le regarder ces quelques secondes, comme caché derrière un rideau, moment volé sans le vouloir.

Ce moment volé je l'ai ressenti dans une grande joie comme si quelqu'un pardessus mon épaule me disait en même temps :
"Vois comme la vie continue, comme elle tu dois poursuivre ton chemin".

En ce moment, c'est un très gros bordel dans ma tête depuis un mois.
Pour être plus honnête, ça fait trente neuf ans (39) que ça dure.
Et depuis l'été dernier, on m'a trop vu dans les églises, les funérariums et les cimetières.
Donc ce gros bordel prend forme depuis un mois. Tout s'y bouscule, s'y entrechoque, quelque chose se met en place et je me laisse faire.
Comme si tout convergeait vers maintenant, comme si le moment était venu d'entamer une nouvelle étape, de faire la paix, d'enfin accepter de comprendre les leçons de la vie, de voir que tous ces chemins avait la destination présente, ne plus fuir, ne plus retarder... une sorte de paresseuse urgence qui met les choses en place devant mon nez.
Alors je pardonne.
Je pardonne tout.
Enfin, après trente neuf ans, je sais, il était temps mais voyez-vous je suis un peu têtu comme garçon.
Il n'y a pas de vide, juste une acceptation de ce qui a été, ce qui est et ce qui sera.
Ça me porte avec une sorte de bienveillance, alors je laisse faire, oui je me laisse faire, c'est si agréable.

Une très belle journée donc, faite de kilomètres, de souvenirs, de télescopages imprévus et improbables, d'un rêve qui resurgit, d'une vision du passé dans ma Picardie chérie, je prends tout, pas de retour à l'envoyeur, il faut savoir être égoïste parfois...

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